Le Point


Spiritueux, l'heure des iconoclastes

Une nouvelle génération de producteurs réinvente les codes, impose ses créations et séduit les amateurs.

PAR OLIVIER BOMPAS

Production écossaise en tête, suivie par l'Irlande, le whisky reste l'alcool préféré des Français. Nouveauté de taille, la France a désormais sa place sur le podium et se classe troisième dans le cœur des amateurs, qui privilégient les whiskys hexagonaux fleurant bon le terroir. David Roussier est, depuis 2010, à la tête de la distillerie Warenghem, située à Lannion, en Bretagne, l'une des deux régions phares, avec l'Alsace, de la production de whisky français. Bien connue pour sa marque Armorik, elle a été la première à en proposer un entièrement made in France. David Roussier se souvient : « Dans les années 1970, les petites marques de spiritueux et d'apéritif ont souffert de l'arrivée de la grande distribution et de l'implantation des grandes marques. Mon beau-père a alors produit du chouchen, il fallait sauver la distillerie. Le virage vers le whisky est légitime, la Bretagne partage ses racines celtes avec l'Écosse. On a commencé avec un blend, un whisky d'assemblage. Faire d'entrée du single malt n'avait pas de sens, c'est un whisky plus complexe : pour ça il faut élever les eaux-de-vie, et ça demande du temps. » La gamme s'est depuis étoffée, avec des whiskys parmi les meilleurs de la production française. La suite : une tonnellerie récemment ouverte dans le centre de Lannion—approvisionnée en partie en chêne breton —, la remise en valeur de la production de liqueurs, activité historique de la maison, et l'ouverture d'un « whisky pub » à l'écossaise. Tout pour coller à l'évolution de la demande.

 

« Notre volonté, c'est de sortir des sentiers battus. Ça, c'est la fraîcheur de ne pas être du sérail.» Nicolas Julhiet, La Conspiration

 

Dans l'univers des spiritueux, si les noms connus, à la réputation internationale, restent une base, les petits nouveaux séduisent de plus en plus. Selon le baromètre annuel réalisé par l'Ipsos pour le Whisky Live Paris (salon international de référence), les amateurs, en particulier les 30-40 ans, privilégient, dans l'ordre, le goût et la qualité, l'origine du produit, les principes liés à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et la marque. De nombreux entrepreneurs, au parcours souvent original, l'ont bien compris, à l'image d'Ilde Pinna. Installée à Chambéry, elle a créé un limoncello remarquable à base de citrons de Sardaigne et, n'utilisant que les zestes, a initié un cercle vertueux en rétrocédant la pulpe à des glaciers. Son projet : planter des citronniers en Savoie et développer l'agrotourisme.

De leur côté, Nicolas Julhiet et cinq de ses amis sont les créateurs de La Conspiration. Une marque née de l'idée un peu potache d'acheter en commun un fût de whisky écossais, «pour voir comment il allait vieillir... On n'a jamais acheté le fût, s'amuse Nicolas Julhiet. En revanche, on a monté une micro-distillerie, acquis deux alambics et lancé un projet un peu fou.» Aucun des six associés n'étant du métier, c'est Jérôme Lefèvre, vigneron champenois et distillateur, qui a pris en main la partie production. Deux ans après le lancement du projet, une gamme de spiritueux très originaux a vu le jour, dont trois gins d'une précision et d'une pureté aromatique remarquables. « La Conspiration, c'est un pas de côté par rapport au monde des spiritueux, explique Nicolas Julhiet. On veut expérimenter, proposer des expériences sensorielles différentes. On est très exigeants sur la qualité des ingrédients, un gin peut être une très bonne eau-de-vie de dégustation. Notre volonté, c'est de sortir des sentiers battus. Ça, c'est la fraîcheur de ne pas être du sérail. »